Élections législatives : tribune de Raphaël Glucksmann

Le macronisme est mort, il n’a ni la force ni la légitimité pour faire barrage à l’extrême droite. Seule la gauche peut être la digue dont la démocratie française a tant besoin. Il y a l’urgence, nous devons empêcher la France de sombrer dans l’abîme dans quelques jours.


Raphaël Glucksmann

Publié dans Le Monde le 18 juin 2024

« On raconte que Néron contemplait Rome en flammes en récitant des vers et en jouant de la lyre. Emmanuel Macron sourit-il, ces jours-ci, en regardant notre pays s’enfoncer dans la crise ? Est-il fier et satisfait d’avoir joué le destin de la France aux dés, alors que rien d’autre que son orgueil blessé ne l’obligeait à dissoudre l’Assemblée nationale ?

Nous sommes présidés par un adolescent qui s’amuse à craquer des allumettes. Seule compte désormais l’absolue nécessité d’empêcher la prise du pouvoir par l’extrême droite.

Nous n’en savons rien et cela n’a plus d’importance, au fond. Nous savons que nous sommes présidés par un adolescent qui s’amuse à craquer des allumettes dans une station-essence sous les vivats énamourés de trois conseillers obscurs. Et nous savons aussi que seule compte désormais l’absolue nécessité de refermer les portes de l’Enfer qu’il a ouvertes, c’est-à-dire d’empêcher la prise du pouvoir par l’extrême droite le 7 juillet, 300 députés du Rassemblement national à l’Assemblée, Jordan Bardella premier ministre, Thierry Mariani ministre des affaires étrangères, Marion Maréchal à l’éducation nationale et Eric Ciotti à l’intérieur…

Devoir de vérité

Dans moins d’un mois, la France peut être gouvernée par la famille Le Pen et ses affidés. Que signifie cette phrase qui peine encore à faire sens lorsqu’on la prononce ? Elle signifie que la principale puissance militaire du continent sera dirigée par des petits télégraphistes du Kremlin. Elle signifie la déconstruction méthodique du projet européen et la remise en cause de l’Etat de droit (la promesse est déjà faite de « marcher » sur le Conseil constitutionnel). Elle signifie la privatisation du service public de l’audiovisuel (soyons clairs : sa vente à Vincent Bolloré) et le tri des malades à l’hôpital avec la fin de l’aide médicale de l’Etat…

Dans un moment de bascule aussi fondamental, le premier devoir d’un politique est un devoir de vérité. Feindre de se réjouir de la « parole rendue au peuple » ou faire croire que l’union des gauches montée à la hâte pour résister au pire est un mariage d’amour, ce serait mentir. Non, l’heure n’est pas à la fête, mais à la responsabilité.

Qui peut décemment croire que la principale menace sur la République vient d’une France insoumise divisée et diluée dans une large coalition électorale alors que le Rassemblement national seul peut conquérir la majorité absolue

Je comprends le trouble de nombreux électeurs qui ont voté le 9 juin pour la voie sociale-démocrate, écologiste et pro-européenne que j’ai ouverte pendant la campagne des européennes. Je les croise dans la rue et je lis leurs lettres. Mais lorsque l’extrême droite est aux portes du pouvoir, hiérarchiser les périls devient une obligation. Et qui peut décemment croire que la principale menace sur la République vient d’une France insoumise divisée et diluée dans une large coalition électorale dont elle n’a pas la maîtrise quand le Rassemblement national seul peut conquérir la majorité absolue à l’Assemblée dans moins de trois semaines ?

Dans aucune autre démocratie européenne nous n’aurions eu à faire face à une telle situation : un fait du prince ouvrant la voie à une campagne de vingt jours avec un système électoral (le scrutin majoritaire à deux tours) réduisant de facto l’expression du pluralisme. Nous avions littéralement cinq jours pour tout organiser et il était de notre responsabilité de forger cette large unité d’action contre l’extrême droite en imposant nos conditions sur le soutien à la construction européenne, les livraisons d’armes à l’Ukraine, la nature terroriste des attaques du 7 octobre 2023, la lutte contre l’antisémitisme ou le rejet de la brutalisation de la vie politique.

Une seule morale : celle de l’extrême urgence

Nous avons bataillé sans relâche pour faire en sorte que le Nouveau Front populaire ne soit pas une Nupes 2 et il est clair cette fois aux yeux de tous, y compris les siens, que Jean-Luc Mélenchon ne sera pas premier ministre. Il est clair aussi que la ligne dominante n’est plus la sienne. Alors oui, les purges sont insupportables, oui, des candidats « insoumis » ont franchi les limites de l’acceptable, oui la gauche doit affronter ses démons, les fractures qui la minent et les violents qui la salissent. Nous les affronterons.

Les leçons de morale sont tout sauf morales si elles conduisent à consentir au triomphe du pire.

Les leçons de morale sont tout sauf morales si elles conduisent à consentir au triomphe du pire. La seule morale qui doit nous guider ces jours-ci est celle de l’extrême urgence. Elle suppose de fonder ses choix sur une analyse clinique de la situation. Le macronisme est mort ce 9 juin 2024. Il n’a ni la force ni la légitimité pour faire barrage. Seule la gauche peut être la digue dont la démocratie française a tant besoin, à condition que nous soyons responsables pour tous les autres et que nous appelions au second tour à voter pour chaque candidat républicain faisant face au RN.

Forts de notre score aux élections européennes, fidèles à l’espérance que nous avons fait naître, nous lutterons pour qu’émerge de ce chaos un nouvel espace démocrate, écologiste et humaniste dans notre pays. Sans ciller, ni céder sur rien. J’y consacrerai toute mon énergie dans les semaines, les mois, les années qui viennent.

Mais, d’abord, il y a l’urgence. D’abord, nous devons empêcher la France de sombrer dans l’abîme dans quelques jours. D’abord, je ferai campagne sans pause pour que le Rassemblement national ne dirige pas notre nation le 7 juillet 2024. Voilà la mère de toutes les batailles, le combat qui rend possible tous les autres. Il reste peu de temps, très peu de temps et l’histoire nous regarde. »

Raphaël Glucksmann, député européen du groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) et coprésident de Place publique.